Anarchitecture et détournement, à propos de Gordon Matta-Clark
La beauté des espaces engendrés par les perforations de Gordon Matta-Clark ne doit pas faire oublier la dimension critique de son entreprise, erreur commise par tous les étudiants en architecture pour qui il est aujourd’hui une sorte de culte. Matta-Clark considérait l’architecture comme une entreprise prétentieuse, qu’il a sans cesse détournée. Car l’architecte, s’il se prétend sculpteur, se masque son propre rôle dans la société capitaliste, qui est de construire des clapiers sous les ordres d’un entrepreneur. Il y a un souverain mépris dans l’attitude de Matta-Clark à l’égard de l’architecte : ce que je fais, tu ne pourras jamais y atteindre car cela suppose d’accepter l’entropie, l’éphémère, alors que toi, architecte, tu crois construire quelque chose pour l’éternité. L’architecture n’a donc qu’un seul destin : celui de passer un jour ou l’autre à la trappe.
Gordon Matta-Clark (1943-1978) a possédé une double nationalité franco-américaine. Il a travaillé à New York et à Paris. Comme son travail a eu affaire avec les monuments et les ruines, ses œuvres doivent être placées aux termes d’une pratique artistique, qui évolue à l’encontre des pratiques déconstructives et anti-historiques de l’art conceptuel, fort répandues à l’époque.
Il procède dès l’origine à un découpage et à une transformation des immeubles, en tranchant littéralement dans les murs, les cloisons ou les sols. Il ne travaille que sur des bâtiments destinés à être démolis. Il s’attaque une seule fois à un bâtiment en usage : il s’agit du célèbre Institute for Urban Studies de New York où travaillaient ses professeurs en architecture. Cette intervention est immédiatement interdite. Car, invité à une exposition organisée par l’institut, il supprime toutes les fenêtres et les remplace par des photographies montrant des bâtiments du Bronx dont toutes les fenêtres ont été brisées.
Fils de l’artiste surréaliste Roberto Matta, Gordon (qui prend le nom de sa mère en 1971) est diplomé en architecture de la Cornell University en 1968 et a une brève et influente carrière, comme son aîné et ami Robert Smithson qu’il rencontre en 1969, lors de l’exposition Earth Art. La même année, il assiste Dennis Oppenheim à la création de deux projets, toujours pour l’exposition Earth Art (Andrew Dickson White Museum of Art).
Il s’installe à New York. Ses premiers projets sont d’ordre culinaire et alchimique. Dans Photo-Fry, il laisse frire des clichés photographiques dans de la graisse. Il les offre à Smithson pour son Noël. Avec Glass Plant, 1971, il utilise le principe de la fusion, magnifiant l’action de la montagne Pelée, en transformant des bouteilles de bière ou de soda en un lingot répugnant et solidifié, certains à base de agar-agar (gélatine que l’on extrait des algues) qu’il fait cuire dans de larges plateaux avec les substances les plus diverses : levure, sucre, lait concentré, jus de légumes, bouillon de poule, vaseline..., et avec parfois des détritus récupérés dans les rues. De cette série des déchets, il ne reste que Land of Milk and Honey (nom donné au pays de Canaan de la Genèse, 1969), faux relief d’agar-agar, en état de mutation organique avec de la moisissure. Cette œuvre rappelle les autoportraits en gelée moulée de Claes Oldenburg, 1966, ou les sculptures en porridge rassis de Kurt Schwitters.
En 1970, il expose dans un lieu alternatif fondé par Jeffrey Lew. Il considère le déchet en architecture et construit un mur de plâtre et de goudron, Garbage Wall, qui sert de décor à une performance, avant d’être jeté. Un autre mur est érigé en 1971 et filmé dans Fire Boy, avec des débris ramassés sous le pont de Brooklyn et retenus par un grillage de fer. Puis vient l’Open House (1972), une benne à ordures transformée en espace de vie. Le concept d’« anarchitecture » que propose alors Matta-Clark consiste en une équation simple et efficace pour juger du bien fondé de l’architecture : architecture = déchet. « Ce serait intéressant de transformer un endroit où des gens vivraient encore... de prendre, peut-être, un espace de vie très conventionnel et de le transformer jusqu’à le rendre inutilisable. » (Matta-Clark) Il crée aussi une série d’œuvres dont Cherry Tree dans la galerie. Dans les sous-sols, il creuse un trou et plante un arbre. L’exposition dure jusqu’au moment où l’arbre meurt (environ trois mois). Dans Winter Garden : Mushroom and Waisbottle Recycloning, il cultive des champignons. Dans Time Well, il ensevelit une jarre remplie de fruits fermentés et de noyaux de cerise dans le trou laissé vacant de l’arbre mort.
Il fonde encore un restaurant-coopérative intitulé Food, à Soho, avec Carol Godden, Suzanne Harris, Tina Girouard et Rachel Lew. Les artistes sont invités en qualité de chefs cuisiniers. C’est dans ce lieu que se réunit le groupe Anarchitecture, avec Laurie Anderson, Tina Girouard, Suzanne Harris, Jene Highstein, Jeffrey Lew, Ree Morton, Richard Nonas et George Trakas. La notion d’Anarchitecture a été décrite par Mary Jane Jacob comme « une approche anarchique de l’architecture, marquée physiquement comme un effondrement des conventions à travers une méthode de "déconstruction" ou de "déstructuration" au lieu de créer une structure architecturale et philosophiquement comme une approche révolutionnaire qui cherchait à révéler, grâce à l’art, les problèmes sociaux. »
Les découpages d’immeubles abandonnés commencent en 1972-73 avec les Bronx-Floors. Matta-Clark se focalise sur l’architecture ordinaire. Sa première œuvre anarchitecturale consacre, à partir d’un jeu de mots, la relation entre l’architecture et le déchet. Threshole (1973) désigne un certain nombre de découpes sur des seuils d’appartement et à tous les étages. Ce geste est fort risqué. Threshold signifie seuil et hole trou, threshole est donc un seuil en trou, une entaille à ordures, comme les égouts que Matta-Clark filme en 1977 dans Sous-sol de Paris, ou bien dans les travaux concernant le trou des Halles et la destruction du quartier pour le futur Beaubourg.
Il ne souhaite pas seulement découper des espaces intérieurs invisibles à l’œil et de la rue. Il va aussi s’attaquer au bâtiment dans son ensemble, obtenant au passage tout permis de démolir. L’architecture devient pour lui de plus en plus un objet de crise, de Conical Intersect, 1975, où il creuse un cône dans deux bâtiments mitoyens au centre de Paris et observant le futur quartier de Beaubourg, jusqu’aux dernières découpes pratiquées à Anvers, avec Office Baroque, en 1977, ou dans des maisons mitoyennes de Chicago, Circus-Caribbean Orange, 1978.
Le projet le plus ambitieux est Splitting, 1974, où l’artiste utilise une maison de bois à Englewood, New Jersey, maison destinée à la destruction par ses propriétaires, Horace et Holly Solomon. Pour ce projet, il divise la maison en son milieu et incise deux parallèles d’un pouce chacune. Puis il supprime la bande entre les deux saignées. La maison se fend littéralement, lorsqu’il enlève une partie des fondations. Puis il découpe les quatre coins de l’édifice et ceux-ci sont exposés à la Holly Solomon Gallery (Splitting : Four corners).
Il procède dès l’origine à un découpage et à une transformation des immeubles, en tranchant littéralement dans les murs, les cloisons ou les sols. Il ne travaille que sur des bâtiments destinés à être démolis. Il s’attaque une seule fois à un bâtiment en usage : il s’agit du célèbre Institute for Urban Studies de New York où travaillaient ses professeurs en architecture. Cette intervention est immédiatement interdite. Car, invité à une exposition organisée par l’institut, il supprime toutes les fenêtres et les remplace par des photographies montrant des bâtiments du Bronx dont toutes les fenêtres ont été brisées.
Fils de l’artiste surréaliste Roberto Matta, Gordon (qui prend le nom de sa mère en 1971) est diplomé en architecture de la Cornell University en 1968 et a une brève et influente carrière, comme son aîné et ami Robert Smithson qu’il rencontre en 1969, lors de l’exposition Earth Art. La même année, il assiste Dennis Oppenheim à la création de deux projets, toujours pour l’exposition Earth Art (Andrew Dickson White Museum of Art).
Il s’installe à New York. Ses premiers projets sont d’ordre culinaire et alchimique. Dans Photo-Fry, il laisse frire des clichés photographiques dans de la graisse. Il les offre à Smithson pour son Noël. Avec Glass Plant, 1971, il utilise le principe de la fusion, magnifiant l’action de la montagne Pelée, en transformant des bouteilles de bière ou de soda en un lingot répugnant et solidifié, certains à base de agar-agar (gélatine que l’on extrait des algues) qu’il fait cuire dans de larges plateaux avec les substances les plus diverses : levure, sucre, lait concentré, jus de légumes, bouillon de poule, vaseline..., et avec parfois des détritus récupérés dans les rues. De cette série des déchets, il ne reste que Land of Milk and Honey (nom donné au pays de Canaan de la Genèse, 1969), faux relief d’agar-agar, en état de mutation organique avec de la moisissure. Cette œuvre rappelle les autoportraits en gelée moulée de Claes Oldenburg, 1966, ou les sculptures en porridge rassis de Kurt Schwitters.
En 1970, il expose dans un lieu alternatif fondé par Jeffrey Lew. Il considère le déchet en architecture et construit un mur de plâtre et de goudron, Garbage Wall, qui sert de décor à une performance, avant d’être jeté. Un autre mur est érigé en 1971 et filmé dans Fire Boy, avec des débris ramassés sous le pont de Brooklyn et retenus par un grillage de fer. Puis vient l’Open House (1972), une benne à ordures transformée en espace de vie. Le concept d’« anarchitecture » que propose alors Matta-Clark consiste en une équation simple et efficace pour juger du bien fondé de l’architecture : architecture = déchet. « Ce serait intéressant de transformer un endroit où des gens vivraient encore... de prendre, peut-être, un espace de vie très conventionnel et de le transformer jusqu’à le rendre inutilisable. » (Matta-Clark) Il crée aussi une série d’œuvres dont Cherry Tree dans la galerie. Dans les sous-sols, il creuse un trou et plante un arbre. L’exposition dure jusqu’au moment où l’arbre meurt (environ trois mois). Dans Winter Garden : Mushroom and Waisbottle Recycloning, il cultive des champignons. Dans Time Well, il ensevelit une jarre remplie de fruits fermentés et de noyaux de cerise dans le trou laissé vacant de l’arbre mort.
Il fonde encore un restaurant-coopérative intitulé Food, à Soho, avec Carol Godden, Suzanne Harris, Tina Girouard et Rachel Lew. Les artistes sont invités en qualité de chefs cuisiniers. C’est dans ce lieu que se réunit le groupe Anarchitecture, avec Laurie Anderson, Tina Girouard, Suzanne Harris, Jene Highstein, Jeffrey Lew, Ree Morton, Richard Nonas et George Trakas. La notion d’Anarchitecture a été décrite par Mary Jane Jacob comme « une approche anarchique de l’architecture, marquée physiquement comme un effondrement des conventions à travers une méthode de "déconstruction" ou de "déstructuration" au lieu de créer une structure architecturale et philosophiquement comme une approche révolutionnaire qui cherchait à révéler, grâce à l’art, les problèmes sociaux. »
Les découpages d’immeubles abandonnés commencent en 1972-73 avec les Bronx-Floors. Matta-Clark se focalise sur l’architecture ordinaire. Sa première œuvre anarchitecturale consacre, à partir d’un jeu de mots, la relation entre l’architecture et le déchet. Threshole (1973) désigne un certain nombre de découpes sur des seuils d’appartement et à tous les étages. Ce geste est fort risqué. Threshold signifie seuil et hole trou, threshole est donc un seuil en trou, une entaille à ordures, comme les égouts que Matta-Clark filme en 1977 dans Sous-sol de Paris, ou bien dans les travaux concernant le trou des Halles et la destruction du quartier pour le futur Beaubourg.
Il ne souhaite pas seulement découper des espaces intérieurs invisibles à l’œil et de la rue. Il va aussi s’attaquer au bâtiment dans son ensemble, obtenant au passage tout permis de démolir. L’architecture devient pour lui de plus en plus un objet de crise, de Conical Intersect, 1975, où il creuse un cône dans deux bâtiments mitoyens au centre de Paris et observant le futur quartier de Beaubourg, jusqu’aux dernières découpes pratiquées à Anvers, avec Office Baroque, en 1977, ou dans des maisons mitoyennes de Chicago, Circus-Caribbean Orange, 1978.
Le projet le plus ambitieux est Splitting, 1974, où l’artiste utilise une maison de bois à Englewood, New Jersey, maison destinée à la destruction par ses propriétaires, Horace et Holly Solomon. Pour ce projet, il divise la maison en son milieu et incise deux parallèles d’un pouce chacune. Puis il supprime la bande entre les deux saignées. La maison se fend littéralement, lorsqu’il enlève une partie des fondations. Puis il découpe les quatre coins de l’édifice et ceux-ci sont exposés à la Holly Solomon Gallery (Splitting : Four corners).
À New York, au début des années 70, la négligence de Nixon en matière de logements publics et les problèmes urbains, ont conduit à la création de lieux d’expositions socialement engagés. Matta-Clark laisse fonctionner les œuvres dans l’environnement urbain réel. On ne peut donc pas, pour lui, s’affranchir des contraintes politiques inhérentes à l’espace d’exposition, de la galerie. Il ne faut pas nier les contradictions politiques et culturelles. En présentant des "trous", catégorie d’œuvres anti-artistiques, il soumet des découpes, le spectacle d’une démolition. Il permet ainsi à l’œuvre de fonctionner comme une sorte d’ « Agit-Prop » dans le tissu urbain, démarche à rapprocher des actions menées par les situationnistes parisiens en 1968. Il considère les actes dans la ville comme des intrusions publiques ou des "coupes" dans l’uniformité du tissu de la ville. L’idée est de mettre un terme au conditionnement des masses urbaines qui, libérées, peuvent exprimer certaines réalités refoulées.
Matta-Clark voit ses découpes comme « des sondes qui révélaient des domaines... cachés (dévoilant des informations dissimulées par la société) et pénétraient en profondeur... pour créer des répercussions sur tout ce qu’elles pouvaient influencer... » Il tente donc d’établir un dialogue entre art et architecture sur le terrain précieux de la seconde. Car, selon Dan Graham, « elle ne traite pas nécessairement de la galerie comme lieu d’une architecture répressive, identifiée aux institutions, mais se rattache à l’environnement urbain sur la base d’une expérience politique, urbanistique et historique, intégrant son propre réseau de relations réciproques et fonctionnant comme mémoire de l’archétype architectural. » En effet, pour Manfredo Tafuri, l’architecture moderne détruit la ville en tant que contexte : « La primauté semble y être donnée à l’invention formelle, mais la répétition obsédante de ces inventions transforme l’organisme urbain tout entier en une gigantesque "machine inutile". » En fait, « se libérer de la valeur, c’est se mettre en condition d’agir dans ce réel, ce champ de forces indéterminé, mouvant et ambigu. [... ] La destruction des valeurs inaugure les nouvelles manières d’être d’une rationalité capable de se confronter avec le négatif, et d’en faire le ressort des potentialités illimitées ». L’art « peut alors s’engloutir silencieusement dans les structures de la ville, tout en idéalisant ses contradictions, ou bien, il peut introduire violemment, à l’intérieur des structures de la communication artistique, un irrationnel tout aussi idéalisé, l’irrationnel que la ville elle-même produit ».
Tout dans l’architecture s’est fait selon Tafuri au détriment de la cohésion structurale de la ville puisque des quartiers urbains sont constamment rasés, puis reconstruits, dans le but d’alimenter une économie en pleine expansion. « Nous vivons tous dans une ville..., dit Matta-Clark, dont le tissu est architectural... où la propriété est omniprésente. [... ] En déconstruisant un édifice... j’ouvre un espace clos, préconditionné non seulement par nécessité physique mais aussi par l’industrie qui inonde les villes et les banlieues de boîtes habitacles dans le but inavoué de s’assurer le concours d’un consommateur passif et isolé. »
Paradoxalement, ces déconstructions peuvent constituer une forme d’architecture. Ainsi il note à propos de Splitting : « Les découpes, rappelle Graham, articulent davantage l’espace, mais l’identité de l’édifice en tant que site est rigoureusement préservée. [... ] Le fait de dépouiller, évider ou déconstruire un édifice constitue une dénonciation de la pratique architecturale professionnelle. Détruire et non construire (ou reconstruire) un édifice revient à inverser la doctrine fonctionnaliste. [... ] Matta-Clark recherche donc les vides déjà existants et qui n’ont pas été exploités. Ils n’ont pas de réalité dans l’architecture moderne qu’en terme de négation. »
Les découpes montrent la manière dont les habitants occupent l’espace compartimenté. Les locataires se plient donc à l’espace imposé par l’architecte et par le promoteur, donc à la structure sociale existante. C’est une "sculpture" qui révèle finalement la contrainte de l’individu, ou cette mémoire subversive que cachent les façades sociales et architecturales et leur fausse image d’intégrité. Ce que l’artiste a tenté de faire, et ce que les architectes modernes évitent par toutes sortes de stratagèmes, c’est de révéler au public les lois de la propriété et le processus général de la containérisation auquel est soumis l’espace urbain, et qu’en général la conception de l’architecte dissimule.
Matta-Clark voit ses découpes comme « des sondes qui révélaient des domaines... cachés (dévoilant des informations dissimulées par la société) et pénétraient en profondeur... pour créer des répercussions sur tout ce qu’elles pouvaient influencer... » Il tente donc d’établir un dialogue entre art et architecture sur le terrain précieux de la seconde. Car, selon Dan Graham, « elle ne traite pas nécessairement de la galerie comme lieu d’une architecture répressive, identifiée aux institutions, mais se rattache à l’environnement urbain sur la base d’une expérience politique, urbanistique et historique, intégrant son propre réseau de relations réciproques et fonctionnant comme mémoire de l’archétype architectural. » En effet, pour Manfredo Tafuri, l’architecture moderne détruit la ville en tant que contexte : « La primauté semble y être donnée à l’invention formelle, mais la répétition obsédante de ces inventions transforme l’organisme urbain tout entier en une gigantesque "machine inutile". » En fait, « se libérer de la valeur, c’est se mettre en condition d’agir dans ce réel, ce champ de forces indéterminé, mouvant et ambigu. [... ] La destruction des valeurs inaugure les nouvelles manières d’être d’une rationalité capable de se confronter avec le négatif, et d’en faire le ressort des potentialités illimitées ». L’art « peut alors s’engloutir silencieusement dans les structures de la ville, tout en idéalisant ses contradictions, ou bien, il peut introduire violemment, à l’intérieur des structures de la communication artistique, un irrationnel tout aussi idéalisé, l’irrationnel que la ville elle-même produit ».
Tout dans l’architecture s’est fait selon Tafuri au détriment de la cohésion structurale de la ville puisque des quartiers urbains sont constamment rasés, puis reconstruits, dans le but d’alimenter une économie en pleine expansion. « Nous vivons tous dans une ville..., dit Matta-Clark, dont le tissu est architectural... où la propriété est omniprésente. [... ] En déconstruisant un édifice... j’ouvre un espace clos, préconditionné non seulement par nécessité physique mais aussi par l’industrie qui inonde les villes et les banlieues de boîtes habitacles dans le but inavoué de s’assurer le concours d’un consommateur passif et isolé. »
Paradoxalement, ces déconstructions peuvent constituer une forme d’architecture. Ainsi il note à propos de Splitting : « Les découpes, rappelle Graham, articulent davantage l’espace, mais l’identité de l’édifice en tant que site est rigoureusement préservée. [... ] Le fait de dépouiller, évider ou déconstruire un édifice constitue une dénonciation de la pratique architecturale professionnelle. Détruire et non construire (ou reconstruire) un édifice revient à inverser la doctrine fonctionnaliste. [... ] Matta-Clark recherche donc les vides déjà existants et qui n’ont pas été exploités. Ils n’ont pas de réalité dans l’architecture moderne qu’en terme de négation. »
Les découpes montrent la manière dont les habitants occupent l’espace compartimenté. Les locataires se plient donc à l’espace imposé par l’architecte et par le promoteur, donc à la structure sociale existante. C’est une "sculpture" qui révèle finalement la contrainte de l’individu, ou cette mémoire subversive que cachent les façades sociales et architecturales et leur fausse image d’intégrité. Ce que l’artiste a tenté de faire, et ce que les architectes modernes évitent par toutes sortes de stratagèmes, c’est de révéler au public les lois de la propriété et le processus général de la containérisation auquel est soumis l’espace urbain, et qu’en général la conception de l’architecte dissimule.
Olivier Lussac
Gordon MATTA-CLARK, Splitting, 1974.
Gordon MATTA-CLARK, Splitting, 1974.
Gordon MATTA-CLARK, Conical Intersect (detail),1975, 27-29, rue Beaubourg, Paris. Courtesy of David Zwirner, NY and the Estate of Gordon Matta-Clark.
Documentation of Gordon Matta-Clark working on Bronx Floors, 1972.
Gordon MATTA-CLARK, Documentation of Bingo,1974, at Niagra Falls, New York.
Open House, 1972 (1985)
En mai 1972, Gordon Matta-Clark (1943-1978) crée Open House (Maison ouverte), œuvre non pérenne réalisée dans une rue de SoHo (New York), entre le 98 et le 112 Greene Street, deux espaces d’exposition alternatifs respectivement ouverts en 1969 et 1970. Avec cette œuvre, G. Matta-Clark poursuit ses investigations liées au recyclage des matériaux de rebut, utilisant une benne à ordures qu’il compartimente au moyen de cloisons de bois, de portes d’hôtels et de restaurants, prélevées dans des chantiers de démolition proches. Open House doit également son nom à l’ouverture pratiquée en façade et à l’absence de toiture, suscitant osmose et perméabilité entre l’espace créé, la rue, les immeubles. Dès sa mise en place, Open House devient un centre d’activités, expérimental et ludique, où évoluent danseurs, performers, artistes. Offrant encore plus de liberté que les espaces d’exposition alternatifs, Open House est un équivalent urbain, aux œuvres développées dans le contexte du Land Art.
Un film super 8, éponyme, réalisé le jour de l’inauguration, documente la confrontation avec le public de cette « chose-lieu » ou « épiphanie spatiale personnelle » comme la définissait Richard Nonas, ainsi que son inscription en marge du New York établi et prospère, les gratte-ciel se devinent en toile de fond. Le poète Ted Greenwald enregistre, lui, la tournée de livraison, en camion, du journal Village Voice : « Open House, immobile, est ainsi dotée d’un moteur et d’une sonorité : celle d’une équipe au travail. »
Une seconde version d’Open House est installée en octobre 1972 devant le 112 Greene Street où G. Matta-Clark expose du 21 octobre au 10 novembre. On peut penser que cette coïncidence topographique et temporelle fait de cette nouvelle occurrence un pendant aux espaces du 112 Greene Street que G. Matta-Clark tapisse d’images de façades lépreuses, ruinées mais attractives, donnant des allures de rue à l’espace intérieur. Le container, plus grand, bâti de cloisons irrégulières comme déconstruites, possède un escalier à ciel ouvert menant à une plateforme, pourvue d’un brasero, qui occupe la moitié de la structure. Il s’agit là pour G. Matta-Clark, de juxtaposer l’univers déprécié des friches urbaines et une activité festive, perçue comme typiquement périphérique : un barbecue, dans le but de changer la ville.
Si les deux versions initiales de l’oeuvre ont disparu en accord avec leur qualité d’événement et de projet conceptuel liés au recyclage et à la «containairisation» des espaces de vie, le Gordon Matta-Clark Estate, au vu du peu d’inventions topiques de l’artiste qui subsistent, décide, après son décès prématuré, de fixer l’état et le mode de présentation de l’œuvre. La version permanente, décrite dans un cahier des charges précis, utilise le container industriel de la deuxième reconstitution de l’œuvre, au MOCA de Chicago en 1985, lors de l’exposition : Gordon Matta-Clark: A Retrospective. Cette reconstitution trouve aujourd’hui légitimement sa place au Mamco dans l’espace d’exposition appelé La Rue, à proximité du Corridor Store Front de Christo dont G. Matta-Clark fut à plusieurs reprises l’assistant, participant notamment, à la construction de Store Fronts.
Gordon MATTA-CLARK, Open House, 1972.
Benne industrielle, cloisons, portes ; 248 x 242 x 611 cm.
Coll. Mamco, acquis avec le soutien de donateurs anonymes, de l'Amamco et de Daniel Varenne.
Gordon MATTA-CLARK, Open House, 1972.
Benne industrielle, cloisons, portes ; 248 x 242 x 611 cm.
Coll. Mamco, acquis avec le soutien de donateurs anonymes, de l'Amamco et de Daniel Varenne.
Gordon MATTA-CLARK, Open House, 1972.
Benne industrielle, cloisons, portes ; 248 x 242 x 611 cm.
Coll. Mamco, acquis avec le soutien de donateurs anonymes, de l'Amamco et de Daniel Varenne.
Documentation of Gordon Matta-Clark working on Bronx Floors, 1972.
Gordon MATTA-CLARK, Documentation of Bingo,1974, at Niagra Falls, New York.
SOURCE : DAVID ZWIRNER
Open House, 1972 (1985)
En mai 1972, Gordon Matta-Clark (1943-1978) crée Open House (Maison ouverte), œuvre non pérenne réalisée dans une rue de SoHo (New York), entre le 98 et le 112 Greene Street, deux espaces d’exposition alternatifs respectivement ouverts en 1969 et 1970. Avec cette œuvre, G. Matta-Clark poursuit ses investigations liées au recyclage des matériaux de rebut, utilisant une benne à ordures qu’il compartimente au moyen de cloisons de bois, de portes d’hôtels et de restaurants, prélevées dans des chantiers de démolition proches. Open House doit également son nom à l’ouverture pratiquée en façade et à l’absence de toiture, suscitant osmose et perméabilité entre l’espace créé, la rue, les immeubles. Dès sa mise en place, Open House devient un centre d’activités, expérimental et ludique, où évoluent danseurs, performers, artistes. Offrant encore plus de liberté que les espaces d’exposition alternatifs, Open House est un équivalent urbain, aux œuvres développées dans le contexte du Land Art.
Un film super 8, éponyme, réalisé le jour de l’inauguration, documente la confrontation avec le public de cette « chose-lieu » ou « épiphanie spatiale personnelle » comme la définissait Richard Nonas, ainsi que son inscription en marge du New York établi et prospère, les gratte-ciel se devinent en toile de fond. Le poète Ted Greenwald enregistre, lui, la tournée de livraison, en camion, du journal Village Voice : « Open House, immobile, est ainsi dotée d’un moteur et d’une sonorité : celle d’une équipe au travail. »
Une seconde version d’Open House est installée en octobre 1972 devant le 112 Greene Street où G. Matta-Clark expose du 21 octobre au 10 novembre. On peut penser que cette coïncidence topographique et temporelle fait de cette nouvelle occurrence un pendant aux espaces du 112 Greene Street que G. Matta-Clark tapisse d’images de façades lépreuses, ruinées mais attractives, donnant des allures de rue à l’espace intérieur. Le container, plus grand, bâti de cloisons irrégulières comme déconstruites, possède un escalier à ciel ouvert menant à une plateforme, pourvue d’un brasero, qui occupe la moitié de la structure. Il s’agit là pour G. Matta-Clark, de juxtaposer l’univers déprécié des friches urbaines et une activité festive, perçue comme typiquement périphérique : un barbecue, dans le but de changer la ville.
Si les deux versions initiales de l’oeuvre ont disparu en accord avec leur qualité d’événement et de projet conceptuel liés au recyclage et à la «containairisation» des espaces de vie, le Gordon Matta-Clark Estate, au vu du peu d’inventions topiques de l’artiste qui subsistent, décide, après son décès prématuré, de fixer l’état et le mode de présentation de l’œuvre. La version permanente, décrite dans un cahier des charges précis, utilise le container industriel de la deuxième reconstitution de l’œuvre, au MOCA de Chicago en 1985, lors de l’exposition : Gordon Matta-Clark: A Retrospective. Cette reconstitution trouve aujourd’hui légitimement sa place au Mamco dans l’espace d’exposition appelé La Rue, à proximité du Corridor Store Front de Christo dont G. Matta-Clark fut à plusieurs reprises l’assistant, participant notamment, à la construction de Store Fronts.
Gordon MATTA-CLARK, Open House, 1972.
Benne industrielle, cloisons, portes ; 248 x 242 x 611 cm.
Coll. Mamco, acquis avec le soutien de donateurs anonymes, de l'Amamco et de Daniel Varenne.
Gordon MATTA-CLARK, Open House, 1972.
Benne industrielle, cloisons, portes ; 248 x 242 x 611 cm.
Coll. Mamco, acquis avec le soutien de donateurs anonymes, de l'Amamco et de Daniel Varenne.
Gordon MATTA-CLARK, Open House, 1972.
Benne industrielle, cloisons, portes ; 248 x 242 x 611 cm.
Coll. Mamco, acquis avec le soutien de donateurs anonymes, de l'Amamco et de Daniel Varenne.
SOURCE : MAMCO
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