ANN LEE


M/M, No ghost just a shell, image créée pour le projet collaboratif et évolutif Ann Lee de Pierre Huyghe & Philippe Parreno,
2000. 
Art posters series. 3 colours silkscreened poster. 120 x 176 cm approx. (47 x 69").

SOURCE shop.mmparis.com


Philippe PARRENO, Anywhere out of the world, 2000. 
Installation vidéo 3D sur DVD 4'.
Affiches, moquette, ampli, caisson de basses, 5 enceintes.
Acquisition 2000 | à la galerie Air de Paris, Paris.


Les films, les vidéos et les installations de Philippe Parreno traduisent principalement à travers la forme de la narration, de la fiction, un même enjeu : la représentation et ses significations. À travers une image ou une idée, qu’elle soit issue du champ médiatique ou du champ artistique, ce sont les procédures de fabrication et de légitimation qui sont à l’œuvre qu’il interroge, ainsi que les cheminements qui s’opèrent dans le passage d’un champ à l’autre et qui en modifient la nature et le sens. En 1999, Philippe Parreno et Pierre Huyghe achètent le personnage d’Ann Lee (caractère manga en deux dimensions) à une société japonaise qui fournit aux éditeurs de l’industrie du manga le dessin des personnages ainsi que leur profil psychologique, du héros au simple figurant destiné à disparaître au bout de quelques pages. Choisie sur catalogue comme une marchandise, Ann Lee, femme-enfant, est rachetée, libérée de l’industrie culturelle et réinvestie par le champ artistique. Anywhere out of the world (2000) en est la première «version», sorte de conte moderne proposé par Philippe Parreno. Image virtuelle (redessinée en 3D), simple coquille vide (d’imaginaire mais pas de sens), Ann Lee raconte (dans la langue internationale du business) non pas une histoire telle que l’on pourrait l’attendre d’un personnage de fiction mais son histoire en tant que produit destiné à faire vendre. Cette histoire critique (mais aussi tragique de la jeune fille dont l’enveloppe charnelle fait l’objet d’un commerce) met à jour et démonte l’ensemble des mécanismes économiques qui sous-tendent l’industrie de l’image (du cinéma aux jeux vidéo), matérialisés dans l’installation de l’artiste par le poster à l’effigie de la star (réalisé par les graphistes M / M), la moquette, le son Dolby Surround, comme autant d’éléments indispensables du marchandising promotionnel et de la mise en condition du consommateur de divertissements (pas uniquement) «culturels».
Héroïne contemporaine virtuelle, en attente d’une biographie, d’un scénario ou d’une histoire, on retrouve Ann Lee dans la vidéo No ghost just a shell de Pierre Huyghe et dans Ann Lee in anzen zone de Dominique Gonzalez-Foerster.


SOURCE : frac-poitou-charentes.org 


Pierre HUYGHE, Two minutes out of time, 2000.
Vidéo, DVD, 1 affiche.
Court. Galerie Marian Goodman, Paris.


Two minutes out of Time (2000) est un film de Pierre Huyghe dont le personnage principal, Ann Lee, est identique à celui de Anywhere out of the world, film présenté récemment au Mamco dans l’exposition de Philippe Parreno. Si les deux objets sont individuels et indépendants, ils présentent des similitudes formelles évidentes. Ann Lee est le produit d’une agence japonaise qui élabore des personnages destinés à être vendus à différentes industries telles que la bande dessinée, le dessin animé ou la publicité. Acquise par les deux artistes sous forme d’un fichier informatique, Ann Lee devient un signe, mis à la disposition d’autres artistes. Extrait de son système de production et de diffusion, ce signe entre alors dans un processus d’exposition qui s’inscrit dans le temps et qui pourrait permettre d’imaginer, selon Ph. Parreno, la réunion de tous ces films dans un film d’imaginaire qui s’intitulerait : No ghost just a shell.

Ce projet n’est pas sans rappeler une autre collaboration entre P. Huyghe et Ph. Parreno, « Anna Sanders Magazine », également présentée au Mamco. En couverture du magazine, les deux artistes décrivent ainsi le personnage et le projet : « Anna Sanders est le nom d’un personnage de film en cours d’écriture. C’est aussi le nom d’un magazine qui présente ce personnage. Sans jamais voir aucune image de lui, on le découvre à travers le graphisme, les articles, le choix des images ou des publicités… D’autres personnages apparaîtront de la même manière, en donnant leur nom à d’autres numéros. L’ensemble de ces magazines racontera une histoire, incarnée par ces personnages que l’on ne voit jamais, donnant le sentiment d’une histoire, "l’histoire d’un sentiment". » Ce projet pose plus précisément la question du personnage, une question commune à l’ensemble des travaux des deux artistes, à savoir qu’elles sont les conditions pour qu’une histoire puisse émerger. Le personnage d’Anna Sanders comme celui de Ann Lee ne sont pas des fantômes qui projetteraient dans le présent des histoires du passé. Elles représentent plutôt une projection dans le présent d’histoires possibles du futur. Si Anna Sanders est un personnage de l’imaginaire, dont le caractère est formé à partir de différentes stratégies sociales et publicitaires, le personnage de Ann Lee est quant à lui un produit.

À la différence du film de Ph. Parreno, le film de P. Huyghe souligne l’emprise d’Ann Lee sur notre propre imagination. Son personnage devient alors plus qu’un produit. En insistant sur le regard qu’elle pose sur le spectateur, elle dépasse la relation de consommation explorée par Ph. Parreno pour l’ouvrir dans le monde de la fiction. La relation apparaît alors plus personnelle et plus intime que celle qu’induit un produit soumis au régime de la marchandise. Chez P. Huyghe, la présence purement visuelle de l’image est traitée dans un ensemble de méthodes qui servent à suggérer des regards et des interprétations spécifiques où l’image produite n’est pas la finalité mais le point de départ pour une interprétation toujours incomplète. Son travail intègre un ensemble de données souvent proches du langage du cinéma classique pour traiter, en particulier, de la communication active et de toutes les formes d’échange.

SOURCE : mamco.ch


Pierre HUYGHE, One million kingdoms, 2001. (extrait)


 
François CURLET, Anne Lee, Écran témoin, 2000. 
Beta digital, 5’26”, 8 exemplaires.


ÉPISODE 1 : Je me présente. Marie-Pierre, 32 ans. Originaire du Loire et Cher. Là-bas, j’étais la reine du village, blonde, les cheveux en dessous des fesses. Interdiction formelle de les couper. On me surnommait Cosette. En hommage à Victor Hugo. D’où ma passion pour l’écriture. Imaginez ma réaction à la lecture de l’annonce. Moi qui à la vue d’un champs de blé en mouvement à l’ombre du vent noircissait des cahiers entiers ! Aprés il y a eu la rencontre avec Francois, un artiste belge extravagant. Il m’a fait passer une sorte d’entretien à l’embauche… Payée à tenir un journal durant quatre mois de farniente. Mon rêve de toujours se réalise ! Mais parviendrai-je à écrire le roman que j’ai dans la tête ? Avec pour seule et unique contrainte, celle de changer de peau. Foutre en l’air ma carapace et endosser celle d’un personnage de pacotille. Ann Lee. ÉPISODE 2 : Ah toi ! Tu es vraiment la partie la plus intéressante du projet, toi, ce manga japonais acheté dans un catalogue par Huyghe & Parreno. Toi avec qui je commence à vivre le jour où je range mon bureau, mets en ordre mes papiers et mes docs, au Ministère. En arrosant une dernière fois mes plantes vertes. Toi qui me souffle deux règles essentielles. Ne plus avoir de contact avec mes anciens collègues de bureau… et Ecrire… Les premiers jours sont terribles. Je tourne en rond chez moi. J’aurais préféré changer de quartier. La vue sur les tours m’est soudain insupportable. Comme si pendant toutes ces années, je m’étais endormie, comme si durant tout ce temps, je n’avais plus vu. Tout à coup, l’intérieur même de mon appartement prend une autre dimension. Les objets n’ont plus la même densité. Ma vie a changé. Je renais sous une nouvelle identité… Celle d’une autre femme. Ann Lee. ÉPISODE 3 : Même ma façon de parler change. J’ai un ton rebelle et François me l’a fait remarquer. Pour ne pas passer mes journées à traîner, je me fixe un cadre. Le matin, je me lève à sept heures, corn flakes, lait écrémé, thé vert. Ensuite, je m’organise des rendez-vous. Au studio d’enregistrement, je teste la voix qui lira mon journal. C’est l’occasion de rencontres. Charles, l’ingénieur du son ne s’intéresse qu’au vécu. Après, cours de streching ou bien piscine, selon le temps. Sur le chemin du retour, l’eau reflue vers la caniveau. De plus en plus je pense aux vies gâchées des gardiens de musées. Il fait beau. Une fois à l’appart, je traîne sur mon canapé comme un chat. Rêverie. Charles a le regard intelligent propre aux gens qui décident. L’après-midi est consacré aux ballades. Rue Saint-Honoré. Place Vendôme. Place du Marché Saint-Honoré. Je n’ai jamais rien eu à faire par là j’en profite. Et puis Soldes. Insomnies. La nuit je me bats avec moi-même. Moi devenue quelqu’un d’autre. Ann Lee. ÉPISODE 4 : Un matin, je dis oui. Oui à quoi ? J’ai refusé d’abord. Je ne me sentais pas capable, c’était me replonger dans la contrainte. Entre temps, je suis partie en Russie, j’ai rencontré Lénine, j’ai revu Adrien, j’ai mangé chez Willie, nous avons parlé de Vanessa… Et soudain, m’est venue cette pensée-là : on ne fait pas parce qu’on ne devait pas faire. La vie n’a pas de si. Dès ce moment-là, ma décision est prise. Ce sera oui. Oui à quoi ? Oui à la vie, oui à ma réalité, oui à mes rêves, la nuit. Oui, à la neige à Noël. Oui pour écrire des conférences. Demain, je recommence un vrai travail. Aprés un abandon de quatre mois passés à côté d’une autre qui était ma projection dans une réalité parallèle. Je décide de dire oui à moi-même et non à toi, ce personnage complètement inventé que je me suis plu à nourrir de ma psychologie. Reste où tu es, tu y es si bien. Oh Toi, Salope ! Ann Lee.

RÉALISATION : François Curlet. TÉMOIN : Marie-Pierre Jamot. ADAPTATION : Stéphanie Cohen. VOIX : Maïwenn. ANIMATION 3D : Olivier Gondry. IMAGES/MONTAGE : Thomas Bauer. SON : Charles de Meaux. TITRE : M/M (Paris). PRODUCTION DÉLÉGUÉE : Ana Lena. CO-PRODUCTION : Anna Sanders Films / Love Streams / Twisted Laboratories Inc.

SOURCE curlet.org


 
M/M, affiche créée pour le film Witness screen/Écran témoin de François Curlet, 2000. 
Projet collaboratif et évolutif Ann Lee de Pierre Huyghe & Philippe Parreno. Art posters series. 3 colours silkscreened poster. 120 x 176 cm approx. (47x69"). Unlimited edition. 

SOURCE shop.mmparis.com

 

Dominique GONZALEZ-FOERSTER, Ann Lee in anzen zone, 2000.
Images de synthèse, animation virtuelle, multimédia d'un personnage de manga.
DVD-Vidéo, pal, couleur, sonore. Animation numérique. Projection DVD. Durée : 3'25''

 
Ann Lee, petite femme virtuelle qui nous est déjà devenue familière par les films de Philippe Parreno, Anywhere out of the world (2000), et de Pierre Huyghe, Two minutes out of time (2000), revient à la vie dans le film réalisé par Dominique Gonzalez-Foerster. Il n’y a pas si longtemps, Ann Lee reposait dans un catalogue de modèles de la firme graphique japonaise Kworks, sans autre avenir que d’attendre qu’un dessinateur en mal d’inspiration vienne animer sa mauve silhouette et ses grands yeux en amande. Philippe Parreno et Pierre Huyghe l’ont sortie de sa léthargie et lui ont donné un autre destin que celui d’un personnage secondaire de bande dessinée japonaise parfaitement codée en l’achetant pour en faire la créature d’un projet collectif, No ghost, just a shell. Libérée, Ann Lee est confiée à l’imaginaire des artistes pour qu’ils travaillent avec ce « personnage bon marché, amené à disparaître très vite », et pour qu’ils lui prêtent « un caractère, un texte, une dénonciation, le plaidoyer d’un procès. Faire en sorte que ce personnage puisse vivre différentes histoires. Qu’il puisse agir comme un signe, comme un logo actif... »

Sous la pluie qui strie l’écran, Ann Lee murmure en japonais, de sa douce voix synthétisée, une prophétie menaçante : « Il n’y aura pas de zone de sécurité ('anzen zone', en japonais), vous allez disparaître de vos écrans […] Il n’y a nulle part où aller, absolument nulle part dans cet univers complètement perdu […] Vous serez tous envoyés vers un lieu sans retour, c’est un voyage vers nulle part. » Errant dans un vide sidéral, fantomatique personnage aux yeux sans fond, Ann Lee retrouvant son identité originelle japonaise, se confond et se détache de son double anglophone, monologue, de sa voix indéfinie, promesse de disparition, avertissement glacial, menace programmée. Silhouette adolescente au déhanchement maladroitement mécanique, être-miroir absorbant nos projections imaginaires, Ann Lee se déplace sur l’écran dans une lenteur poétiquement mélancolique. Elle nous touche, parce que nous voulons voir ce simple signe, produit destiné à un marché, capable d’absorber et de réfléchir ce que notre imaginaire projette.

L’industrie plus ou moins culturelle avait destiné cette créature manga à n’être qu’une vague héroïne de fiction bon marché et la voilà devenue, par une émancipation décidée par des artistes, un personnage en devenir, endossant, le temps d’une intervention artistique, les questions que se posent les artistes devant une image, une fiction qui « instrumentalise l’imaginaire collectif ». Elle montre comment, artiste ou spectateur, nous réagissons lorsqu’une « coquille vide » – autrement dit un simple dessin séduisant la part de notre sensibilité restée infantile, comme nous en livre par poignées la science-fiction bas de gamme – est habitée par un imaginaire s’ouvrant aux autres et à toutes les interprétations possibles. 

SOURCE : mamco.ch 


Pierre JOSEPH et Mehdi BELHAJ KACEM, Théorie du trickster, 2002. 
Conférence et animation 3d transférée sur Betacam numérique. 36 minutes.

 M/M, affiche créée pour la conférence La Théorie du trickster de Pierre Joseph et Mehdi Belhaj Kacem, 2002.
Art posters series. 3 colours silkscreened poster. 120 x 176 cm approx. (47 x 69"). Unlimited edition.

SOURCE : shop.mmparis.com


Liam GILLICK, Ann Lee you proposes, 2001.


Depuis son acquisition par les artistes Philippe Parreno et Pierre Huyghe, Ann Lee est animée par un destin extraordinaire qu’elle poursuit actuellement dans une aventure conçue par Liam Gillick. Ses premières apparitions, frontales et dans un espace indéfini, exposaient ses origines (P. Parreno), son destin transformé et son évolution possible dans différents espaces-temps (P. Huyghe et Dominique Gonzalez-Foerster). Avec Ann Lee you proposes, L. Gillick reprend la logique de collaboration qui est à l’origine de ce projet en s’associant, pour la réalisation de ce nouvel épisode, à Lars Magnus Holmgren, concepteur d’animation vidéo. Il introduit ainsi une esthétique qui s’inspire de la production londonienne des films commerciaux en présentant trois séquences dont le rythme et le montage rappellent la bande-annonce d’un film. Pourtant, l’esprit collectif ne s’applique pas uniquement au mode de production, puisqu’il se développe également dans la narration non-linéaire, discontinue, qui englobe les idées d’espace et de localisation, de collaboration et d’identité.

Ann Lee interpelle directement le spectateur et l’invite à pénétrer dans son monde. Les espaces qu’elle traverse, les objets présentés peuvent être compris comme la manifestation de la mémoire de la jeune fille. Mais ils sont autant d’allusions à des interventions de L. Gillick dans d’autres temps et d’autres lieux, comme à Kitayushu au Japon ou encore dans le jardin attenant à la Tate Britain à Londres. Ensemble, ces différents éléments soulignent une des caractéristiques du travail de L. Gillick qui explore l’histoire, le contexte, et qui documente à travers la combinaison du texte et de l’objet les mécanismes selon lesquels les réalités économiques et sociales se forment. Ces recherches sur des événements historiques et, plus particulièrement, sur la façon d’écrire l’histoire, l’amènent à prendre des personnages fortuits du passé pour les réinventer dans le présent, brouillant ainsi la frontière entre la vérité et la fiction, entre le passé et le futur. Il développe également l’idée que le monde visible est une construction, où la connaissance, la communication et l’action n’ont pas de réalité pour elles-mêmes, mais sont elles-mêmes des constructions. Alors, les structures physiques ou mentales peuvent s’agencer dans une multitude de scénarios situés dans une zone où les notions de temps et d’espace sont perturbées.

Ann Lee existe dans cette zone et, par conséquent, elle a des souvenirs réels et factuels qui lui sont fournis à la fois par L. Gillick et par les aventures précédentes. L’identité d’Ann Lee est une création qui articule un espace nouvellement construit et dont l’existence ne peut être imaginée en dehors de ce lieu virtuel. Sa visibilité autant que le cours de son destin est directement liée au lieu dans lequel elle s’inscrit. En présentant Ann Lee avec une nouvelle identité, en créant des fragments de mémoire en relation avec sa nouvelle localisation, L. Gillick pose d’emblée le projet comme une réalisation sans fin ou Ann Lee cherche une manière de comprendre ses origines tout en s’inscrivant dans le cours d’un récit qui va se poursuivre lorsqu’elle sera dans les mains d’un autre artiste.

SOURCE : mamco.ch

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