TULSA
En 1971 paraît un livre de photographies dont on n'a pas suffisamment mesuré toute l'importance. Il s'agit de Tulsa
réalisé par un jeune photographe alors pratiquement inconnu, Larry
Clark. L'ouvrage est publié par un autre jeune photographe à
l'intelligence visuelle affûtée, Ralph Gibson, fondateur en 1969 d'une
petite maison d'édition qu'il dirige, Lustrum Press. Tulsa est
précédé d'un court texte introductif, dans lequel Clark expose sobrement
son projet : « Je suis né en 1943 à Tulsa, Oklahoma. J'ai commencé à
consommer des drogues amphétamines à l'âge de seize ans. Pendant trois
années consécutives, mes amis et moi nous nous sommes piqués
quotidiennement, puis j'ai quitté la ville. Mais, au cours des années
qui suivirent, j'y suis toujours revenu. Une fois que vous avez planté
la seringue, impossible de vous arrêter.»
Les cinquante et une images qui composent le livre -
photographies ou photogrammes de petits films d'amateur réalisés par
Clark - constituent l'ouvrage le plus important depuis les Américains
de Frank, et d'une autre radicalité. Le sujet même (la drogue, le
sexe), l'identification d'une ville paisible du Middle West à la dérive
délinquante de ses adolescents, la façon brutale et directe de
photographier d'un point de vue qui est celui, non pas d'un témoin, mais
de l'acteur, l'absence de distance du photographe, protagoniste actif
de ce qu'il photographie, et donc délinquant lui-même, feront de Tulsa un livre secret, aux résonances fortes.
S'y mêlent la noirceur photographique de W. Eugene Smith
(l'une des référence de Clark), le style spontané de Frank et une
tendresse profonde pour les compagnons en marginalité du photographe.
Ceux-ci n'appartiennent en aucune façon au milieu new-yorkais artiste et
chic de la drogue, mais constituent bien la réalité quotidienne d'une
Amérique rurale et profonde que l'on voudrait croire à l'égard des
exactions condamnées. Oubliant toute distance documentaire, la
photographie fournit ici l'équivalent d'une chronique autobiographique
sans précédent, sans la moindre compromission ou posture commerciale, ou
tout autre alibi faussement artistique. En 1983, Larry Clark fera
paraître, toujours chez Lustrum Press, un autre ouvrage encore plus
choquant, Teenage Lust, plus explicitement sexuel, suite photographique à Tulsa, autobiographie brûlante de ses années adolescentes et de ses démêlés avec la police.
Larry CLARK, "David Roper (T1)", Tulsa, 1963.
35.56 x 27.94 cm.
Larry CLARK, "Billy Mann (T2)", Tulsa, 1963.
27.94 x 35.56 cm.
Larry CLARK, "Untitled (T3)", Tulsa, 1963.
Larry CLARK, "Untitled (T4)", Tulsa, 1963.
Larry CLARK, "Untitled (T5)", Tulsa, 1963.
Larry CLARK, "Untitled (T6)", Tulsa, 1963.
Larry CLARK, "Untitled (T7)", Tulsa, 1963.
Larry CLARK, "Untitled (T8)", Tulsa, 1963.
Larry CLARK, "Untitled (T9)", Tulsa, 1963.
Larry CLARK, "Untitled (T10)", Tulsa, 1963.
Larry CLARK, "Untitled (T47)", Tulsa, 1971.
Je suis né à Tulsa, dans l'Oklahoma en janvier 1943. A 16 ans, j'ai
commencé à prendre du Valo. Le Valo était un inhalateur nasal qu'on
pouvait acheter en pharmacie pour un dollar et qui contenait une
quantité phénoménale d'amphétamines. On préparait une dose et on la
prenait. Au lycée, j'en consommais tous les jours avec mes amis. Quand
j'ai eu 18 ans, j'ai quitté Tulsa pour aller dans une école d'art et
étudier la photographie. En 1963, je suis revenu à Tulsa, j'ai pris du
Valo et fait des photos pendant quelques mois. Puis je suis allé à New
York City pour devenir photographe pour un magazine mais j'ai été appelé
et j'ai fait deux ans d'armée. Tous mes amis qui étaient rentrés à
Tulsa purgeaient leur peine de prison pour cambriolage ou vol à main
armée. Ma petite soeur aussi se shootait aussi à cette période. Je suis
revenu deux ou trois fois et en 1968, j'ai passé l'été avec mes amis,
j'ai fait des photos, un film en 16mm et des enregistrements. Je n'ai
pas pris beaucoup de photos, il y avait tellement de drogue autour de
moi. Il y en avait plus que ce qu'on pouvait prendre. On vivait dans un
appartement avec quelques filles qui étaient des prostituées, et
connaissaient des combines avec des médecins, donc on avait de tout, des
amphétamines liquides à la morphine pharmaceutique. La police était sur
les dents, ils ont enfoncé notre porte plusieurs fois. J'ai été arrêté
pour de l'herbe lors d'une descente, et la police a pris mon appareil
photo, des pellicules, mon enregistreur et des bandes. J'ai récupéré
l'enregistreur et l'appareil quelque chose comme une année après, mais
ils ont toujours plusieurs pellicules et bandes sons. A cause de cette
descente, l'un de mes amis a pris 10 ans et Billy a dû quitter la ville.
Tout était brisé et les filles ont dû quitter la ville aussi. Je
pensais ne jamais revenir. Je suis rentré à New York pour un an, mais
rien ne se passait et pendant une période, je me suis beaucoup drogué
donc je suis allé en Caroline du Nord, et suis resté chez une fille qui
était peintre. On est allés au Nouveau Mexique pendant l'été et je me
suis mis avec une autre fille et suis resté vivre là. Ma soeur est venue
de Tulsa, bousillée par le speed avec son mari en fuite. Elle m'a dit
que Tulsa tremblait devant deux de mes plus anciens amis qui étaient
revenus aux affaires. J'y suis descendu pour quelques jours, Billy a
fait une overdose de morphine et est mort. Mon autre pote Ripper avait
les cheveux longs et était devenu fou avec cette dope. Je suis parti
mais suis revenu rapidement en janvier 1971, et fait des photographies. A
présent, je suis rentré et me creuse la tête pour écrire quelque chose
pour accompagner ces images. Je suis aujourd'hui aux dernières
épreuves, à New York dans le studio de mon pote Ralph Gibson et sa
maison d'édition Lustrum Press pour publication à l'automne.
Larry Clark, Avril, 1971.
SOURCE : larry-clark.net
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire